Chapitre 30 – Tara

La neige tombe à gros flocons depuis des jours déjà et recouvre d'un superbe manteau adamantin les cimes de la foret de Passoval mais aussi le Temple lui-même et ses jardins. La roseraie forme des taches de couleurs surplombées de dômes blancs, des allées sont dégagées trois ou quatre fois par jour devant le parvis et sur la promenade qui entoure le Temple. Certains râlent, d'autres s'émerveillent. C'est la saison des licornes de neige et des Shalioshas.

Tara est consciencieusement occupée à façonner une corne de licorne en tassant la neige en forme de cône fin entre ses moufles quand Sila lui lance une boule de neige. Tara se retourne vers elle dans une envolée de cheveux flamboyants et de regard perçant :
- Attention, tu as failli me faire lâcher la corne de Talyna !
Sila porte sa main gantée à sa bouche, confuse :
- Oh excuse-moi Tara, je n'avais pas vu.
Tara hausse les épaules puis sourit à son amie et lui dit :
- Viens m'aider à la finir !
Les deux fillettes contemplent leur œuvre, un bébé licorne couché, pattes repliées, la tête haute, c'est tout à fait Talyna !

Elles hochent la tête de concert, l'air satisfait, puis prennent le chemin des cuisines, elles se faufilent par l'entrée des artistes et se retrouvent en plein cœur d'un chaleureux tumulte. A cette période de l'année, les cuisines sont submergées, tous au Temple, résidents comme visiteurs, sont rassasiés de Shalioshas, les célèbres brioches en forme de cœur avec de la confiture de fruits rouges à l'intérieur, mais aussi de sablés au glaçage savoureux : citron, orange-chocolat, caramel au beurre salé ou cannelle, et désaltérés de chocolats chauds maison que les cuisiniers préparent dans d'immenses chaudrons.

Tara repère Amira, une cuisinière qu'elle connaît bien et qui s'est prise d'affection pour elle. Elle lui fait un grand geste de la main et Amira la serre dans ses bras chaleureusement en même temps que Sila, moins habituée aux démonstrations d’affection. En quelques mouvements, les fillettes sont perchées sur de hauts tabourets, devant un plan de travail à peu près dégagé, Amira dépose deux énormes mugs dégoulinants de chocolat chaud recouverts d'une montagne de chantilly parsemée de petits cœurs en sucre multicolores. Les fillettes ont à peine le temps d'y tremper les lèvres, qu'Amira pousse vers elles une assiette de sablés et deux Shalioshas juste sorties du four.

- Bon appétit mes petits anges !

Sila fronce les sourcils, sérieuse :

- Vous savez Madame Amira, nous ne sommes pas des anges, d'ailleurs les hiérarchies angéliques...

Tara fait taire son amie d'un regard.Parfois, Sila est vraiment, trop désespérément, Tvish...

Amira sourit et la joie illumine son visage rond et creuse des fossettes dans ses joues rebondies. Elle coince une mèche de cheveux rebelle sous sa coiffe de cuisinière et s'appuie sur le plan de travail pour souffler un peu tout en regardant Tara mordre avec appétit dans sa Shaliosha à la framboise.

- Amira, demande Tara d'une voix altérée par la bouchée de brioche qui occupe sa bouche, non sans percevoir les sourcils froncés de Sila, le bal commence à quelle heure ce soir ?

Le bal de la nuit magique de Shali, une tradition au Palais, les invitations calligraphiées main à l'encre d'or par les Guilde Rose partent chaque année deux bons mois à l'avance pour couvrir la planète et tous ses Temples Pyramide. Des Archalchimistes viennent de tous horizons pour le bal, mais aussi des Gouverneurs de Province. Dès la fin d’après-midi, les alentours du Temple seront noirs de monde ou plutôt étincelants de costumes chamarrés, de robes traditionnelles de toutes cultures et éthnies. Tara adore le bal de Shali !

Amira répond :
- Oh tu sais bien comment c'est ! Ce sera le défilé entre 19h et 21h, puis les retardataires, ensuite silence radio, on n'entendra pas un pas dans la neige quand tout le monde sera occupé a à valser, puis à minuit les carrosses se transformeront en citrouille ! Amira éclate de rire à son trait d'humour.

Tara et Sila se regardent sans comprendre, que diable peut bien vouloir dire Amira par là ? Mais avant d'avoir pu questionner leur joviale amie, celle-ci se fait happer par un cuisinier nerveux qui l’emmène hâtivement devant un chaudron.

- Je ne pense pas qu'il y ait besoin de métamorphoses alimentaires durant les Fêtes de Shali, s'interroge Sila perplexe.
- Ni à aucun autre moment de l'année, ajoute Tara, tout aussi interloquée.

Elles terminent leur chocolat et Tara fourre un sablé au glaçage caramel dans sa poche de parka avant de sauter en bas du tabouret et de filer hors des cuisines après avoir salué Amira de la main entre deux envolées de casseroles.

Bon que fait-on à présent ? interroge Sila en émergeant sur l'esplanade du Temple.

(à suivre...)