Chapitre 28 - Sebastian



Sebastian est assis en lotus sur un banc des terrasses qui bordent les serres, tout en haut du Temple. Il a les yeux fermés et les mains posées en OM sur les genoux. Suria lui fait face et malgré la douceur de l’après-midi d'automne, Sebastian sent sa chaleur sur son visage. Ils dialoguent.

- OM Suria
- OM Sebastian

Naturellement, Suria ne s'exprime pas par des mots distincts mais par des images mentales traduites par l'esprit de Sebastian et l'habitude du dialogue avec Suria.

- Comment allez-vous ?

Sebastian ressent une sensation de chaleur accrue, de flamboyance, en clair l'astre du jour va bien !

- Qu'est-ce que l'Amour-Force pour vous Seigneur Suria ?

Sebastian sent son cœur s'emballer, une sensation de chaleur s'empare de lui, il a l'impression que son cœur se liquéfie et tout prend une teinte dorée derrière ses paupières closes. Cela porte un nom, Sebastian a déjà entendu des Hiérophantes en discuter entre eux, c'est la connexion avec le cœur en fusion d'un astre, la source primordiale de création de réalités, la condensation de lumière solaire permet a Sebastian de plonger en Suria, d'entrer en connexion avec les qualités spirituelles de sa conscience. Sebastian perçoit une pureté absolue, toute scorie se dissout sous la puissance du feu de Suria. L'identification de conscience est totale, Sebastian en a les oreilles qui bourdonnent tant la sensation est intense et enveloppante, l'espace d'un instant il se sent être Suria. Puis un nuage passe, voilant sa lumière et la sensation de fraîcheur tire Sebastian de sa connexion de conscience. Il a le souffle court comme s'il venait de courir un marathon sans avoir bougé de son banc. Il avait déjà eu des expériences de projection de conscience en Suria, mais jamais a ce point, il a eu l'impression de se perdre en lui, de se faire un peu dissoudre lui aussi. Sebastian passe ses deux mains dans ses cheveux blonds et appuie la tête sur ses mains, coudes sur les genoux. Si au moins il avait quelqu'un avec qui partager ce type d'expérience... A qui demander si c'est « normal »...

Il regarde Suria en face d'un air de défi :
- Qui suis-je pour toi ? demande-t-il mentalement.

Pour seule réponse Suria intensifie sa lumière pour lui. Insatisfait, Sebastian plonge les mains dans les poches de son blouson en jean et sa main gauche se referme sur un tissu doux, le foulard de Loreline, il l'avait oublié. Son esprit compose une image de Loreline et l'envie de la voir. Il secoue la tête imperceptiblement, depuis quand pense-t-il ainsi a elle ou a qui que ce soit d'ailleurs ? Sebastian avait toujours abordé les autres membres du Quatrième Règne avec une cordialité bienveillante teintée de vigilance, son enfance lui avait appris a se méfier de l'humain et s'il aimait chacun et lui offrait un capital confiance jusqu'à ce qu'il ait des raisons tangibles de se méfier et de leur retirer cette confiance tout ou en partie, il s'en tenait toujours a distance prudente. Ses meilleurs amis le connaissaient pour l'aspect de lui qu'il acceptait de dévoiler. Jusqu’à l'épisode du Temple de l'Eau, il avait considéré Loreline comme une âme torturée en quête de réconfort dont elle ignorait même le besoin. Mais depuis leur échange au restaurant du Temple, il la voyait différemment. Pourquoi pensait-il a elle ? Pourquoi le Plan semblait-il entremêler leurs vies par le biais de rencontres fortuites dans une bâtisse immense ?! Ou bien était-ce un jeu de doubles ou de liens karmiques ? Sebastian se sentait beaucoup trop fatigué pour s'aventurer dans des conjectures pareilles. Il se releva du banc et entrepris de quitter les terrasses a longues enjambées pour retrouver le calme et la fraîcheur de son studio du quartier résidentiel du Temple.


Sebastian emprunte le colimaçon quand il tombe sur Gaïa, qui, elle aussi, semble avoir le don d'ubiquité, si ce n'est d'omniprésence, tant il la croise souvent a des endroits improbables du Temple. Elle ne l'a pas aperçu et est en contemplation devant l'architecture de l'immense escalier. Sans se retourner, tandis qu'il se tient a un mètre dans son dos, elle dit :
- OM Sebastian, vous saviez que c'est moi qui ai lourdement insisté pour avoir ce colimaçon ?
- OM Gaïa, répond Sebastian, trop habitué a ce que Gaïa ait des yeux derrière la tête pour en être déstabilisé, je ne savais pas...
Gaïa se retourne, lui adresse un grand sourire, s’assoit sans autre forme de cérémonie sur la marche de l'escalier ou elle se tenait quelques instants plus tôt et tapote l'espace vide a coté d'elle pour indiquer a Sebastian de la rejoindre.
En s'asseyant a ses cotés, la poche de son blouson en jean se plisse et le foulard bleu en sort a moitié. Sebastian le rattrape et s’apprête a le pousser au fond de sa poche mais Gaïa s'en empare prestement. Elle le tient dans ses mains les yeux mi-clos une dizaine de secondes en remuant les lèvres et le lui rend d'un geste très lent. Sebastian le remet dans sa poche d'un geste tout aussi lent. Il sait que s'il ne pose pas de question, il n'aura aucune explication, mais pour une fois il n'est pas sur de vouloir l'explication et reste silencieux. N'y tenant plus il rompt le silence :
- Pourquoi m'avez-vous coopté ?
- C'était le Maître de la Guilde Verte ou moi... Estimez-vous heureux !
Une pirouette... Tvish qu'il est parfois difficile d'avoir une réponse directe avec certaines consciences ! Ils restent cote a cote, silencieux, une absence d'échange totale pour un regard non-initié mais un échange énergétique intense pour tout troisième œil ouvert. Enfin, au bout de plusieurs minutes, Gaïa se redresse, passe une main a l’arrière de son manteau vert pour en ôter la poussière éventuelle et sourit a Sebastian :
-Vous devriez réitérer l'expérience de cet après-midi. Quant au foulard, remettez-le aux objets trouvés de la résidence, non ?


Elle descend l'escalier en rebondissant de marche en marche, agitant la main au-dessus de sa tête pour le saluer sans se retourner. A près de 50 ans, Gaïa évoque souvent une enfant a Sebastian tant elle ne semble jamais rien considérer comme véritablement sérieux. Il se demande aussi comment ses Gardiens et sa garde Tvish parviennent a assurer sa protection tant elle parait disposer d'un redoutable talent pour l'esquive et l'occultation. Soudain Sebastian repense a ce qu'elle vient de dire : remettre le foulard aux objets trouvés. Elle n'a pas dit de le rendre a sa propriétaire. Et elle a fait une action qui ressemblait furieusement a une déprogrammation lorsqu'elle a tenu le foulard entre ses mains... Se pourrait-il qu'elle lui transmette ainsi l'idée qu'il n'est pas souhaitable qu'il revoie Loreline ? Sebastian se sent encore plus épuisé qu’après sa connexion de conscience avec Suria. Il monte les dernières marches qui le séparent de la plateforme et pénètre dans le grand bâtiment qui abrite son studio.

Le beau hall d'entrée de la résidence principale des Archalchimistes est lumineux et rutilant. Un service d'accueil opérationnel 24 heures sur 24 est disponible pour répondre aux questions, fournir les formulaires de demande d'appartement, distribuer le courrier des résidents, ou encore centraliser les objets trouvés... La sécurité est assurée par un petit contingent de Tvish qui se relaient également tout au long de la journée et restent parfaitement vigilantes quant aux mouvements d'entrée et de sortie des résidents mais surtout des éventuels curieux, indésirables en ces bâtiments privés. Pour l'heure, le hall est désert et inondé de la lumière de Suria qui s’infiltre par les grands vitraux verticaux qui bordent toute la salle.

Hésitant, Sebastian s'avance vers l'accueil qui est actuellement occupé par Nino, un quinquagénaire Italien au rire tonitruant, bon vivant, toujours joyeux mais l’œil vif, un véritable cerbère farouche qui veille a la quiétude des résidents. Sebastian l'aime bien. Nino ne le regarde pas, il semble occupé a informatiser des formulaires de demande d'appartement, malheureusement c'est un domaine ou il y a plus de demandes que d'offre et Sebastian s'estime particulièrement chanceux d'avoir bénéficié du départ inopiné d'un Archalchimiste pour un Temple Pyramide situé a 4000km de Passoval, ce qui lui avait permis de récupérer son studio alors qu'il envisageait de prendre un logement au village en contrebas de la montagne. En tout cas, merci le Plan ! Sebastian sourit au souvenir de sa joie lorsqu'il avait reçu le coup de téléphone lui confirmant que son dossier était validé et qu'il pourrait emménager deux semaines plus tard ! Mais le contact du foulard sur lequel il a refermé ses doigts dans sa poche lui fait perdre son sourire et ralentir le pas. Trop tard, Nino l'a repéré :

- Ciao Sebastian ! Comment allez-vous par ce bel après-midi ensoleillé ?
Nino lui décroche un de ses sourires chaleureux comme un bol de spaghetti a la tomate et au parmesan. Sebastian lui répond avec entrain :
- Bonjour Nino, je vais bien, merci, tout va bien pour vous ?
- Va bene, va bene, alora vous avez besoin de quelque chose, je peux vous aider ?
Sebastian se dandine d'un pied sur l'autre derrière le comptoir, la main crispée sur le foulard dans sa poche, son regard se perd vers le placard a moitié ouvert derrière Nino d’où ou peut apercevoir un carton ou il est inscrit au marqueur noir « Objets trouvés – Shadatinn 25 ». Conformément au Code de la Noblesse Orthodole, les Archalchimistes résidant ont convenu d'un commun accord que les objets trouvés non réclamés durant un an devaient être donnés. Tous les mois Nino et les autres responsables de l'accueil ornent une étagère vitrée des objets trouvés durant le même mois mais l'année précédente. Si quelqu'un a besoin d'un de ces objets, il se sert, tout simplement. S'il reste encore des objets n'ayant pas été adoptés le mois suivant, les Tvish les récupérent et les offrent selon leur intuition.

L’œil de lynx de Nino a suivi le regard de Sebastian, il lui dit :
- Ah vous avez perdu quelque chose ?
Tiré de sa réflexion, Sebastian sursaute presque, fixe Nino, sort la main de sa poche comme si elle était en feu et dit d'un ton brusque :
- Non, non non Nino, tout va bien, bonne fin de journée !
Et il pivote sur ses talons et se dirige vers les escaliers qui le mènent a son studio sous le regard médusé de Nino :
- Maaa... Quelle mouche l'a piqué le petit ?
Il reste interloqué en regardant Sebastian s'éloigner, puis il hausse les épaules et reprend la saisie de ses formulaires.

Sebastian monte les marches deux a deux, il aurait pu prendre l'ascenseur, mais l'effort fourni pour gravir l'interminable escalier le défoule tandis que son esprit tourne a toute allure, pourquoi n'a-t-il pas suivi le conseil de Gaïa et déposé le foulard aux objets trouvés ? Quel étrange jeu d'inconscient le conduit a conserver ce foulard, tel une garantie de revoir Loreline et lui donner le sourire en le lui rendant...


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