Chapitre 27 - Sméthavie (écrit par Shirinn)

« OM Seigneur Mouattib, nous sommes en approche du Domaine de Passoval, nous atterrirons d’ici 20 minutes ».

Sméthavie peut ressentir, en coupant l’intercom, le pouce levé de son unique passager, sans avoir besoin de se retourner, ni attendre la réponse audio de ce dernier. Elle prend toujours un soin extrême à anticiper les mouvements trop brusques de l’appareil, envisageant les conditions exactes de la poursuite de sa route quelques secondes à l’avance, comme par une vision, une sensation anticipée, une forme certaine et fiable de précognition lui permettant de déjouer les caprices du vent et les effets de la granulosité des masses d’air. Le Hiérodarque apprécie très peu les déplacements en général, et plus encore lorsqu’ils sont aériens. L’inconfort de la suspension dans l’air lui était venu quelques années auparavant, alors que dans sa jeunesse il n’aspirait qu’à ressentir la liberté du vol, quel qu’en soit le moyen.



Sméthavie est une des rares Tvish Implantées, contrairement à ses sœurs incarnées et, pour le plus grand nombre d’entre elles, des Transposées directement depuis les plans subtils. Les Implantées vivent sur le plan physique exactement comme les incarnées, à cette différence près que si tout le monde les ayant connues enfants et/ou adolescentes, ou adultes avant leur prise de fonction au sein de la Pracandhasenamukha, aucune d’elles n’est pourtant née de la matière. Tous les souvenirs en rapport de la part de tout un chacun les ayant connues, comme les leurs propres d’ailleurs, sont, tout comme elles-mêmes, implantés dans cette réalité, au sein d’un rajout aux lignes de temps, par le prodige des Tyalildjann, les « Tisserands de la Réalité des Temps » comme aime à les nommer le Hiérodarque. Si les Implantées sont soumises aux conditions humaines au même titre que n’importe quel Être Humain incarné, autant que le sont les Tvish Matricielles, elles sont, en revanche, beaucoup plus aisément susceptibles de se contre-transposer sur les plans subtils comme le font naturellement les Tvish Transposées, ces dernières ayant leur port d’attache sur le plan astral, alors que les Implantées l’ont sur le plan physique. Sméthavie a appris à piloter l’hélicoptère de son père, au-dessus des champs à l’occasion de leur épandage qu’elle n’avait d’ailleurs jamais apprécié, signifiant donc qu’elle est venue sur le plan physique avec cette aptitude, officiellement considérée comme acquise depuis son « enfance » historique ; aptitude considérablement renforcée depuis lors, lui accordant une véritable maestria dans le maniement de tout ce qui vole, tenant de la virtuosité, voire même du prodige. Elle s’est naturellement proposée pour cette responsabilité auprès du Hiérodarque, connaissant son peu de plaisir à voler, et sachant aussi qu’il avait exprimé clairement le souhait de ne confier la responsabilité du pilotage de l’appareil qu’il serait susceptible d’emprunter, qu’à une Tvish exclusivement, et sous aucun prétexte à quiconque d’autre. Elle était effectivement capable de sentir les mouvements d’air avant que son appareil ne les rencontre, et devancer tous les risques susceptibles de rendre le voyage inconfortable compte tenu des circonstances. Elle serait capable de poser un hélicoptère en feu sur un sol en dénivelé au milieu d’une tempête, comme une plume sur un coussin de velours, tant elle est capable de sentir en elle la moindre réaction de l’engin qu’elle a entre les mains, les forces auquel il est soumis, tout cela dans une absolue maîtrise d’elle-même.


Elle n’avait eu aucun mal à le convaincre d’accepter sa proposition, d’autant qu’elle avait préalablement pris soin de simuler à la perfection une situation d’urgence, ayant elle-même tranché l’arrivée de kérosène et celle d’huile lui permettant de manipuler correctement le rotor et les pâles arrières, de plus lancée comme une balle à plus de deux cents kilomètres heure contre la montagne, évitée d’un cheveu, et posé en douceur, tous les voyants aux rouges et clignotants l’état critique de la situation technique. Elle avait accompagné psychiquement les mouvements de la machine rendue folle, afin de quasiment la déposer sur l’aire d’atterrissage au sommet de la Tour Royale du Temple, et parfaitement centrée sur le H qui s’y trouvait, s’il vous plaît. Elle en était sortie un grand sourire aux lèvres et les bras écartés, en clamant avec enthousiasme devant le Hiérodarque qui en était resté blême de crainte pour elle, ignorant son subterfuge :

- Voilà ce dont je suis capable, et même en situation réelle comme en situation météo catastrophique ! Et encore, vous ne m’avez jamais vue faire un looping parfait en hélico ! Figure qui est réputée, sinon impossible, du moins tenir du génie.

- Vous n’imaginez pas à quel point je vous crois sur parole ! Je vous certifie que vous n’avez même pas besoin d’imaginer me le démontrer en étant à votre bord, même pas en rêve ! lui avait-il rétorqué, soulagé pour elle, mais inquiet à l’idée qu’elle puisse vouloir le convaincre davantage encore qu’il ne l’était déjà.


Sméthavie lui avait promis qu’en quelque situation critique qu’il serait susceptible de se trouver avec elle, il ne risquerait rien. Ni dans un véhicule, qu’il roule, flotte ou vole, ni en situation de protection rapprochée vis-à-vis de lui ou de sa Reine, l’Adishaloriss, qu’en outre elle connaissait particulièrement bien à titre privé, raison pour laquelle Sméthavie avait été affectée de fait à la Grade Prétorienne de la Hiérodarchie. Où que le Couple Sacré se rende, individuellement ou ensemble, une part de leur garde personnelle les accompagnait, et Sméthavie en faisait toujours partie, sans exception.


Un appel vient soudain interrompre le flux tranquille de ses pensées. Il ne s’agit pas d’un appel sur la radio de l’hélicoptère, l’un des derniers rescapés de la flotte encore disponible des Airbus depuis l’avènement des technologies antigravité, jusqu’à ce que des appareils équivalents en soient dotés de manière fiable. L’appel est psychique et émis par le Temple Tvish de manière à s’enquérir du délai estimé avant atterrissage du Hiérodarque, attendu par une visite officielle. Sméthavie confirme le délai de douze minutes trente, à plus ou moins dix pourcents de marge. Elle franchit le col de la chaine de montagnes qui entoure plus ou moins le domaine de Passoval, du moins sur sa frontière sud ; le Temple n’étant plus très loin à ce stade du voyage. Elle n’a pas besoin de suivre le plan de vol, tant, pour elle, comme pour toutes ses sœurs, le Temple rayonne comme un phare, où qu’elle se soit trouvée sur Gaïa, le sentant littéralement palpiter l’Amour-Force et l’Unité dans l’atmosphère comme un cœur qui bat. Elle entreprend d’accélérer un peu le mouvement, sentant une masse nuageuse très active en approche rapide depuis l’Ouest, avant d’en avoir effectivement un aperçu visuel. Elle tente de sonder l’état émotionnel du Hiérodarque pour s’assurer que tout va bien, mais comme à chacune de ce genre de tentatives, elle-même, comme ses sœurs, se heurtaient à un mur. Elle n’y pensait jamais parce que ce genre de tests de contrôle émotionnel était monnaie courante chez les Tvish qui l’employaient en permanence face à tout un chacun, leur permettant de pouvoir se situer de la meilleure manière possible face à leurs vis-à-vis respectifs.

- OM Seigneur, est-ce que tout va bien ?
- « No soucy », merci Sméthavie, mais je serai heureux d’arriver.
Le « no soucy » emblématique la faisait toujours sourire.
- Nous y serons dans dix minutes à peu près. J’accélère la cadence, on a une météo problématique qui arrive sur nous, je sens déjà le vent latéral qui augmente. Rien d’inquiétant. Nous serons au sol avant que le mauvais temps nous ait rejoint.
- Je vous fais entièrement confiance ne vous en faites pas.

Le faisant parler, elle sait que son état intérieur refléte sa décontraction. Une petite manœuvre pour s’enquérir malgré tout du fait que tout va bien. Elle est extrêmement soucieuse de son bien-être. Toutes les Tvish le sont, sans exception, mais elle davantage encore puisque sa sécurité est entre ses mains. L’Amour-Force que les Tvish portent au Hiérodarque est d’une puissance extraordinaire, qui n’a d'égal que celui qu’il leur porte en retour, à elles toutes, sans exception, qu’elles lui soient connues ou parfaitement inconnues. Sméthavie jette un regard sur sa gauche. Le front nuageux s’épaissit et avance très vite. Il semble vouloir les devancer. Toutes les Tvish ont appris à se méfier de tous les phénomènes qui semblent être mus par une forme d’intelligence, surtout lorsqu’ils leur semblent être opposés. La chaîne montagneuse qui marque la frontière du Domaine de Passoval, une fois franchie, c’est un ensemble de collines qui apparaît en contrebas. Faisant perdre de l’altitude à l’hélicoptère, elle se met ainsi un peu à l’abri du vent, sentant pourtant son appareil essuyer quelques rafales et se faire déporter vers la droite avant qu’elle ne redresse sa trajectoire quasiment en temps réel, à l’instant de la poussée tendant à la déporter. Au sol, le sommet des arbres commence à s’agiter violemment lorsqu’une giclée de pluie s’abat avec fureur sur la vitre de sa portière. En train de faire perdre encore davantage d’altitude au point de pouvoir parfois heurter les sommités des arbres les plus hauts, Sméthavie prend dès lors la décision de ne pas ralentir sa vitesse de manière à gagner du terrain sur la tempête qui approche, semblant vouloir en découdre avec elle. Les doigts crispés sur le manche qui se met à accuser des secousses dues aux rafales de vent au rythme et à la force aléatoires, Sméthavie reçoit un nouvel appel du Temple Tvish.

- OM Sméthavie, l’approche de la tempête est identifiée. Une part de l’inconscient collectif de la Province est plongée dans une forme de révolte face à l’incompréhension ressentie devant une succession aléatoire de faits dont elle nous considère comme responsables. Toutes les pensées en rapport sont orientées vers le Palais. Une clarification est absolument nécessaire et nous avons mobilisé notre meilleure négociatrice pour établir un dialogue avec le Chancelier Provincial, mais en attendant nous allons devoir repousser ce front agressif. Nous en avons pour un moment si nous ne voulons pas mater sa cause par la violence, donc dépêche-toi de rentrer le plus tôt possible. Nous avons mis les cloches en route pour qu’elles sonnent à toute volée jusqu’à ton arrivée, ça contiendra le grondement qui se durcit.
- Bien reçu. Je suis en approche, j’ai le Temple en visuel.
- Nous t’attendons.


Les tremblements commencent à agiter la carlingue, alors que Sméthavie accélère encore son approche, franchement contre toute logique aéronautique.
- Sméthavie, il se passe quelque chose n’est-ce pas ?!
- La tempête a une origine psychique.
- On s’en serait douté… Ça se sent. Ça c’est un des points négatifs du nouveau paradigme. Depuis la fin des Temps de la Terreur et l’instauration définitive de l’Archimagistère avec sa prédominance sur les lois de la Nature, toutes les pensées les plus fortes ont une incidence physique clairement plus affirmée que dans les temps anciens.
- Si c’est le seul corollaire désagréable au monde d’avant, je pense que personne ne voudrait revenir à l’ancien pour s’en voir débarrassé… Ne vous en faites pas, nous sommes en approche de la Tour Royale.
- A… très, très grande vitesse non ?
Sméthavie se met à rire de bon cœur.
- Pas autant que je l’aimerais pourtant, mais suffisamment pour gagner sur la tempête, le temps de lui échapper.
- Il existe des Tvish qui ne soient pas des casse-cous dans l’âme ?
- Non ! Pourquoi ? Il faudrait ?!

Sans réponse du Hiérodarque, se contentant pour sa part d’un sourire trahissant une incommensurable fierté pour « ses filles », sentiment que là, Sméthavie peut ressentir comme une vague de chaleur intense l’envahir, elle reprend la parole sur un ton plus sérieux.
- Nous allons négocier une manœuvre un peu spéciale contre le vent et on se pose tout de suite après. Ça va aller ?
- Le fait de le demander n’a rien de rassurant. Vous auriez mieux fait de vous taire…

Sméthavie sourit pour elle-même d’un air effronté. La Tour Royale et la piste d’atterrissage pour hélicoptère à son sommet, arrivent sur eux à une vitesse folle. Le Hiérodarque prend une profonde inspiration, sachant que ça allait secouer « un peu », les coups portés par le vent contre la carlingue s’amplifiant considérablement. Pourtant, la seule pensée de Sméthavie aux commandes est un réconfort en soi, une source de calme. C’est en outre le sentiment qu’elle communique naturellement à sa proximité.
La Tour passe sous l’appareil à quelques mètres à peine.
- OM Seigneur, on s’accroche maintenant !
Il crispe ses doigts autour de l’accoudoir de son siège.

Sméthavie projette alors sa conscience dans chaque parcelle de l’hélicoptère bleu frappé du Dorygramme blanc, afin de s’assurer qu’il soit capable de résister à la secousse, en attendant un instant de sentir le vent envoyer une salve de plus contre son appareil, sentant qu’il ne va pas tarder, pour, au moment-même de la frappe, entamer en pleine vitesse, la rotation de l’appareil sur lui-même, lui faisant faire volte-face en un instant, ainsi aidé par le vent. L’énorme vitesse de réserve acquise à l’occasion de l’approche de la tour, une fois effectuée sa rotation à 180 degrés, fait quasiment stopper net l’hélicoptère. Alors que la piste ne se trouve plus dès lors qu’à quelques mètres droit devant Sméthavie, mais avec le pare-brise frappé par la violence de la pluie et les éclairs crépitant comme à l’occasion d’un feu d’artifice, la vision claire du point d’atterrissage lui est impossible, l’empêchant d’effectuer la manœuvre d’approche. Sméthavie, alors, ferme les yeux, faisant totale abstraction du vent, de la pluie, des coups de tonnerre, et du reste, et commence à manœuvrer, exactement tel qu’elle le ressent sur l’instant, faisant plonger le nez de l’appareil vers l’avant, avançant ainsi d’une distance impossible à déterminer a priori, puis fait faiblir la vitesse du rotor, corrigeant par des manœuvres aléatoires les soubresauts de l’appareil livré à la fureur de la tempête grondant sa férocité. Sans raison apparente, elle fait baisser sa queue lentement, jusqu’à ce qu’une légère secousse se fasse sentir. L’hélicoptère est au sol, pile au milieu du « H » qu’arbore la piste circulaire, faisant se rouvrir les yeux noirs d’encre de Sméthavie, et naître un sourire de satisfaction à la commissure de ses lèvres. Un groupe de Tvish entièrement vêtues de noir se précipite vers eux, quelques parapluies pour le moins robustes en mains, venant ouvrir la porte arrière pour libérer son passager. Ce dernier, avant de s’extraire de l’hélicoptère, s’avance vers le poste de pilotage, et pose une main sur l’épaule de Sméthavie, soulevant l’écouteur droit de son casque et lui glisse à l’oreille après avoir déposé un baiser sur sa tête :

- LOREHANN-SHALI. ILTALOUM OUCTISS !
Un bonheur indicible emplit chacune des cellules du corps de la Tvish, chacune des parcelles de son esprit. 





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