Chapitre 23 - Loreline

Il est 14h55 à l'immense pendule de l'anti-chambre du bureau du Maître de la Guilde Verte. Cette anti-chambre est un peu le pendant ordonné au chaos qui règne de l'autre côté de la cloison. Loreline n'est pas souvent venue visiter son Coopteur dans son bureau mais elle est a chaque fois saisie par le contraste entre l'anti-chambre et le bureau. Elle se tient au centre de la pièce, les murs sont tapissés d’étagères peuplées d'ouvrages d'hier et d'aujourd'hui sur l'Alchimie, l'Archalchimie et la Magenstria, deux bureaux en bois se font face et encadrent l’accès au bureau du Maître de Guilde dont la porte est flanquée de part et d'autre de bibliothèques murales du sol au plafond. À cet instant un seul des bureaux, celui de gauche, est occupé par Sythi, une des Tvish aux fonctions mystérieuses pour Loreline mais qui semble assumer un rôle de consignatrice auprès du Maître de Guilde. Loreline s'approche de la porte tout en gardant l’œil sur la pendule, la ponctualité lui est chère.



De l’autre côté, confortablement installée dans un des profonds fauteuils recouverts de velours vert bouteille de l'impressionnant bureau du Maître de la Guilde Verte, Gaïa sirote un verre de kombucha  a l'eau de rosée de Pleine Lune, préparé par les kombuchistes du Palais. Elle est absorbée dans un débat passionné :

- Mais pas du tout enfin ! La sauge est un ingrédient fondamental !

Une mèche de travers lui donnant l'air mi-lunaire, mi-savant fou, le Maître de la Guilde Verte répond :
- J'en ai déjà préparé sans sauge et c’était tout aussi bien.
- Le résultat est complètement différent, je suis désolée !
- Dès qu'il y en a trop ça domine, le dosage est trop délicat honnêtement...
- Dis que tu n'aimes pas la sauge, ce sera plus simple !
- Mais pas du tout, simplement, je n'en mets pas systématiquement.
- Et le piment alors ?
- Piment des oiseaux ou piment de Cayenne ?
Gaïa lève les yeux au ciel :
- L'un, l'autre, les deux ! C'est pour l'alchimie !
- Tu mélangerais sauge et piment toi ?
- Pourquoi pas ?
Le Maître de la Guilde Verte s’apprête à répondre du tac au tac quand il est interrompu par le bruit du heurtoir a la porte de son bureau.
- Entrez !

Les yeux de Gaïa se pose sur une jeune fille toute de bleu vêtu, grande, mince, de longs cheveux châtains, des yeux bruns lumineux et curieux, l'air anxieux. Instantanément, Gaïa ressent l'élan de se lever de son fauteuil et de l'envelopper dans ses bras en une de ses étreintes au parfum d’humus et d'écorce dont elle a le secret... Elle reste pourtant assise, ses yeux fixés avec une attention soutenue sur la visiteuse. Sans qu'elle n'ait le temps d'ouvrir la bouche, son Coopteur la salue :
- Ah Loreline ! OM, entrez je vous prie.
- OM Maître de Guilde, répond Loreline d'une petite voix, non pas intimidée par son Coopteur mais par la présence de Gaïa qui semble occuper toute la pièce et rayonner en vagues d'énergie jusqu'à elle.
- OM Loreline, la salue Gaïa, sans la quitter des yeux.
- OM Gaïa, répond Loreline, encore plus faiblement.
Gaïa lui indique d'un ample mouvement du bras qu'elle peut prendre place sur le fauteuil où était assis son Coopteur quelques instants plus tôt, tandis que celui-ci a bondi comme un ressort pour aller fouiller la surface plus qu'encombrée de son imposant bureau dont on ne distingue même plus la couleur tant chaque centimètre est recouvert d'ouvrages éparpillés et de feuilles volantes annotées.

Loreline ne peut s’empêcher de penser a Sythi qui passe régulièrement consigner des compte-rendus de travaux divers et parfois même noter en temps réel les pensées qui fusent de l'esprit brillant qui occupe, quasiment a demeure, l'immense bureau. Tant pour échapper aux yeux perçants de Gaïa qui ne la quittent pas que pour la beauté du lieu, Loreline se perd dans la contemplation des objets hétéroclites qui entourent le bureau central : lampe torche, pots de fleurs, encens, minéraux divers non pas disposés pour les regards mais mis a contribution, ce qui se devine par leur position hasardeuse. Dans un coin, une cuvette remplie d'eau, des cartons vides entassés en un équilibre précaire, on dirait toujours que ce bureau est en plein déménagement ! Sur l’étagère qui longe l’arrière du bureau, un alignement de verres vides et de tasses ont dessiné des cercles sur les piles de papiers qu'ils surplombent. Une jarre en verre dont le couvercle est de guingois est emplie aux trois-quarts de graines de sésame. Des bocaux au contenu absolument impossible à identifier s’amoncellent sur des étagères, a portée de main du fauteuil. Un dossier étiqueté « dictateurs et despotes » laisse entrevoir un portrait de Mao Zedong qui en dépasse nonchalamment. Mais le plus saisissant de l’ensemble est peut-être la quantité de documents manuscrits calligraphiés en Sémérith qui dépassent entre deux livres où sont scotchés a la hâte le long des parois de la bibliothèque.

Loreline avait demandé quelques semaines plus tôt, choisissant soigneusement ses mots :
- Vous n'auriez pas besoin d'aide pour réarranger votre bureau ?
- Personne ne range mon bureau, avait-il répondu, je dois pouvoir retrouver ce dont j'ai besoin. Les Tvish ont essayé mais elles pensent a leur manière, ce n’était pas pratique, je m'en occupe régulièrement.
Heureusement, le regard d'incrédulité de Loreline était passé inaperçu aux yeux de son Coopteur. Aujourd'hui, assise sur le bord du fauteuil des visiteurs, Loreline ne voit aucune différence dans l'état du bureau entre sa précédente visite et celle-ci. De son siège elle observe des ouvrages volumineux se soulever et se reposer comme par anti-gravité et entend le murmure râleur de qui cherche quelque chose qu'il ne trouve pas. Puis une exclamation triomphale :
- AH !!!
En deux enjambées il se retrouve à coté de Loreline et lui met dans les mains un papier légèrement froissé avec une formule griffonnée :
- Voilà, pour vous, ce dont on a discuté !
Loreline se sent brutalement tirée de sa rêverie éveillée, plie le papier et le range dans son sac et se relève du fauteuil, avec l'impression confuse de qui a atteint le terme de sa visite dans le Saint des Saints. Elle prend la direction de la porte après avoir remercié et salué son Coopteur et Gaïa. Alors qu'elle va la franchir, la voix de Gaïa la cueille dans son élan et résonne en elle, comme si a un niveau elle venait autant d'elle, Loreline, que de derrière elle ou Gaïa est toujours assise :
- Tant que vous ne cassez pas cette programmation en vous, vous serez un danger, pour lui et pour vous-même.
Loreline, un peu pale, se retourne, elle fixe Gaïa qui ne la regarde absolument pas et a repris avec le Maître de la Guilde Verte l'échange interrompu a son arrivée :
- Ce qui fait quand même la différence c'est le bain-marie, c'est beaucoup plus doux.
Loreline est pétrifiée, la main sur la poignée de la porte, Gaïa a-t-elle vraiment parlé ou tout s'est-il déroulé dans sa tête ? Elle passe la porte et la referme avec la voix de son Coopteur qui dit :
- Je te trouve quand même particulièrement pointilleuse pour une recette de brownie...
- Tu peux parler, Monsieur Je-Mets-Vraiment-Deux-Oeufs-Et-Demi-Pour-Respecter-Les-Proportions !




Commentaires

  1. Haaaa un nouveau chapitre !!!!! Merciiii chère Servitia-Kann, je suis envoûtée ! :D c'est du Harry Potter puissance archimagistrale ! ... Un nouveau mot pour l'archidictionnaire ? ;)
    Haaaa les programmations !!! Elles sont aggrippées au mental comme des tiques ... les défaire ...heu tenter de les défaire ... demande humilité vigilance patience ... en fait aspiration, effort, sincérité, détachement, humour ... ha ben ça me fait penser à quelque chose hi hi ... Merci encore pour cette extraordinaire et archalchimique créationet pour la joie émerveillamte d'avoir la chance de la voir naître presque sous nos yeux !

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    1. Merci de tout cœur Noëlle ! Votre enthousiasme me fait chaud au cœur !

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