Chapitre 8 - Elorya

 Lorsqu'ils reviennent de la forêt et de leur visite à Myalina et Talyna, Elorya laisse Suratiel regagner les quartiers de la Guilde Jaune et sans prendre le temps de manger quelque chose ou de se changer, elle s'empresse d'emprunter un des ascenseurs jusqu'au septième étage qu'on appelle « la plateforme » et qui forme la base des terrasses et étages supérieurs du Temple au-delà des 30 mètres qui en constituent le socle. Elle passe la magistrale porte d'entrée ouvragée de la Bibliothèque, la tour immense qui occupe tout un angle de l’Étoile et que beaucoup appellent « la Tour des Elfes » de par son architecture grandiose, ses vitraux en « aile de papillon » qui en illuminent toute la hauteur et sa majesté extérieure comme intérieure.


Le rez-de-chaussée de la bibliothèque est circulaire, ce qui permet d'abriter des alcôves réservées à la lecture dans des espaces improbables, au détour de rayons d'ouvrages de toutes les époques. Le sol est parqueté de lattes de bois cirées rutilantes et les ballerines d'Elorya glissent légèrement à leur contact. Elle pense avec amusement que Suratiel, toujours pieds nus, n'aurait pas ce problème.

Certains ouvrages précieux, des manuscrits Sémérith de début d'Age de Diamant rédigés de la main du Hiérodarque sont soigneusement abrités sous verre. Il y a même un majestueux exemplaire du Code de la Noblesse Orthodole calligraphié main et enluminé de licornes, griffons, nagas et autres créatures qui pour l'époque étaient encore mythologiques alors qu'elles font désormais partie du quotidien...

Contempler la licorne peinte en doré sur la page du manuscrit ramène brutalement Elorya à la réalité et au motif de sa visite à la Bibliothèque. Elle s'arrache à la contemplation des autres manuscrits et se refuse à lever la tête pour admirer les dizaines de mètres qui la surplombent, jusqu'à la coupole en verre bleu qui couvre la Tour des Elfes, tout comme elle ne s'égare pas dans les rayonnages d'ouvrages soigneusement alignés et amoureusement entretenus par les Guildes Verte et Blanche, ni ne cède à la tentation d'emprunter un des innombrables colimaçons en bois qui bordent les rayonnages et permettent d'accéder aux étages supérieurs de la Grande Bibliothèque de Passoval.

Résolue, elle avance d'un pas glissant vers les bureaux de renseignement et plus spécifiquement, celui qui porte un écriteau cuivré indiquant « Guilde Blanche ». L'Archalchimiste assise derrière a les cheveux gris remontés en chignon d’où s'échappent des mèches folles, elle porte de grosses lunettes à monture bleue reposant sur son nez busqué et son visage est aussi ridé qu'une pomme qu'on aurait mis dans un panier d'offrandes au Petit Peuple et dont un nain gourmand se serait emparé au subtil pour la vider de sa substance. Mais l'Archalchimiste est bien alerte, elle écrit fiévreusement dans un cahier, activité qui est bien souvent remplacée par l'usage de tablettes et ordinateurs portables, mais cette dame est clairement d'une autre époque. Elorya s'immobilise face à elle mais l'Archalchimiste ne lève pas la tête, soit elle ne l'a pas entendue, soit elle est trop absorbée par son travail de rédaction pour s'en extraire. Elorya se dandine d'un pied sur l'autre, attend, se racle discrètement la gorge, rien n'y fait, elle ne fait pas partie de la réalité de l'Archalchimiste au chignon argenté. N'y tenant plus Elorya la salue à voix haute :

- OM chère Sœur ! (elle utilise le terme Sémérith passé dans le langage vernaculaire et que les Archalchimistes emploient pour se saluer lorsqu'ils ne connaissent par le Nomen de l'Initié(e) qui leur fait face).

Dans cet espace immense, même si Elorya a parlé normalement, sa salutation retentit comme un coup de canon et l'Archalchimiste sursaute violemment ce qui déséquilibre ses lunettes et lui fait lâcher son stylo tout en portant la main à son cœur. Les yeux qui lancent des éclairs, elle les pose enfin sur Elorya et lui assène :

- Et bien que voulez-vous ?

Désarmante d’enthousiasme et de gaieté, Elorya ignore l'absence de salutations d'usage et se lance dans l'explication de sa visite :

- Je viens faire consigner la naissance d'une nouvelle licorne de Passoval ! Elle s'appelle Talyna, elle est née le 15 Shadatinn, fille de Myalina de Passoval, elle...

- Attendez, attendez... la coupe la Guilde Blanche, pas si vite, je ne comprends rien à ce que vous racontez, essayez d'articuler !

Interloquée, Elorya s'interrompt, l'Archalchimiste n'a pourtant pas d'accent qui pourrait révéler que le français n'est pas sa langue maternelle. Elle reprend plus lentement :

- Je viens... déclarer... la naissance... d'une licorne.

L'Archalchimiste la regarde sans plus d'étonnement ou de ravissement que si Elorya lui avait annoncé qu'elle venait d'accoucher d'une Tvish. L'air contrit, elle sort de sous son bureau un grimoire relié qui a connu des jours meilleurs. Elorya n'en a jamais vu de tel. La Guilde Blanche ouvre l'ouvrage avec un « bang » sonore et chausse à nouveau ses lunettes pour se pencher sur son registre.

- Licornes... Licornes... murmure-t-elle pour elle-même.

Avec un temps qui parait infini à Elorya, elle trouve enfin la section du grimoire qu'elle cherche et prend un stylo de couleur violette avant de poser à nouveau les yeux sur la jeune femme :

- Et bien ? la questionne-t-elle.
- Elle s'appelle Talyna de Passoval, fille de Myalina de Passoval.
- Attendez, pas si vite, la rabroue l'Archalchimiste, date de naissance d'abord ?
- 15 Shadatinn.

Avec une lenteur qui évoque à Elorya l'ouverture de la chrysalide libérant un papillon, l'Archalchimiste entreprend de tracer à l'encre violette la date de naissance de Talyna dans son registre.

- Nomen ?
- Ta-ly-na, répète Elorya en détachant bien les syllabes.
- Épelez s'il vous plaît, lui intime l'Archalchimiste.

Elorya s'exécute en levant les yeux au ciel, elle a toujours eu un peu de mal avec l'ancienne génération mais se reproche ce manque de tolérance et d’ouverture de cœur et adresse à la dame un sourire lumineux.

L'opération complète depuis l'arrivée d'Elorya à la Bibliothèque à la fermeture du registre (non sans avoir inséré un buvard à la page calligraphiée afin que l'encre violette ne bave pas sur la page contiguë) a pris au bas mot 40 minutes. Tandis que l'Archalchimiste de la Guilde Blanche range soigneusement son précieux grimoire, Elorya la salue d'un OM final, pas mécontente d'en avoir terminé avec l'opération de consignation de la naissance du bébé licorne. La vieille dame lui répond d'un ton absent :

- OM, oui... OM...

De son pas dansant, Elorya traverse à nouveau la Bibliothèque qu'éclairent à présent de nombreux lustres et torches murales pour les lecteurs nocturnes.

En émergeant de la Tour des Elfes, l'estomac d'Elorya la rappelle à la réalité, elle n'a avalé de toute la journée qu'un verre d'Elixir de Kargasok le matin avant de prendre le chemin de la forêt. Il est l'heure de se restaurer !



Commentaires

  1. Mille mercis pour cette envoûtante pénétration romancée dans le monde de demain. Un merveilleux cadeau <3

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    1. Avec grand plaisir Noëlle ! Merci de votre lecture enthousiaste et de ce retour :-)

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