Chapitre 7 - Victor

Victor n'en revient toujours pas... Comment est-ce possible ? Il ne sait pas s'il doit l'envisager comme une sanction ou une promotion.

Tandis qu'il est en train de descendre de sa nacelle, un comité d'accueil composé de la responsable de service, Carole, avec sa sempiternelle queue de cheval blonde, son adjoint à lunettes et une Tvish l'attendent au pied du vitrail. Victor hausse les sourcils de surprise et tend la main pour saluer sa responsable :

- Bonjour Carole, bonjour Mark, il incline la tête face à la Tvish qui lui rend son salut, il ne sait toujours pas comment s'adresser à Elles de la bonne manière mais cela ne lui a jamais été reproché...

- Bonjour Victor, dit Carole d'un ton sec. Cette femme dégage à peu près autant de chaleur humaine qu'un iceberg.
- Vous avez été réaffecté, décision effective à compter de demain matin.

- Réaffecté ? interroge Victor, perplexe, comment ça ? J'ai toujours fait les vitraux... Y a-t-il un problème Madame... Carole ? il s’embrouille dans les formules, perturbé à l'idée d'un bouleversement dans sa routine harmonieuse.

- Nous avons revu le planning des équipes, vous serez désormais en charge du secteur terrasses côté Temple Tvish.

Sans un mot de plus, Carole a tourné les talons, Mark l'a suivi dans une grande envolée d'écharpe, de mèche de cheveux et de porte-documents et la Tvish, discrète et gracieuse a salué Victor d'un hochement de tête et s’est éloignée d'un pas souple de chat.

L'esprit de Victor tourne à toute allure, ce qu'on appelle les terrasses sont les jardins arrondis qui prennent place sur les branches de l'Etoile, chaque terrasse mesure 14m de hauteur et est couverte de vitraux verticaux sur cette même hauteur. Le travail ne changerait donc pas énormément, quoique ces vitraux sont plus étroits mais le secteur est très différent, les terrasses sont extrêmement fréquentées : étudiants de l'Académie, Archalchimistes, Tvish, les membres du Parlement en session annuelle apprécient aussi d'aller s'y dégourdir les jambes. On y trouve des plantes rares et originales, des serres, des coins lecture avec des bancs à l'abri d'arbres que Victor n'avait jamais vu de ses yeux avant de venir travailler au Temple-Pyramide...

C'en est donc fini de sa chère quiétude, de sa solitude face aux grands vitraux du rez-de-chaussée... Néanmoins son visage s'éclaire un instant, s'il s'agit des terrasses coté Temple Tvish, il y aura moins de monde car l’accès à celles-ci est plus limité, les Tvish appréciant un certain isolement du reste des activités du Temple.

Et bien il sera fixé des le lendemain puisqu'on lui a certainement remis dans son casier la numérotation des vitraux dont il aura la responsabilité. Quel changement ! Il continue à réfléchir en changeant sa tenue de travail contre ses vêtements civils, quittant l'espace réservé aux employés, utilisant le badge suspendu à son cou pour passer les portes de sécurité et sortir dans la cour du Temple. Il enfourche son vélo lorsqu'il sent enfin poindre en lui un sentiment d'apaisement : ce n'est pas si grave, les habitudes sont amenées à changer, il a toujours exercé de nombreuses activités, pourquoi se tracasser inutilement ? Après tout, il est toujours là, il n'a pas perdu son emploi, on lui a assigné une autre tâche, rien de plus !

Rassuré par ces pensées, il entreprend de pédaler sur les pavés et quitter l'enceinte du Temple, passant sous le chemin de ronde, comme chaque jour, il rentre chez lui après une demi-journée de travail et comme chaque jour il se sent inexplicablement heureux. Cet homme que personne ne remarque jamais vit chacune de ses journées ordinaires en Age de Diamant pour la joie de servir. Servir qui ? Ou quoi ? Ces questions n'ont pas de réalité dans l'esprit de Victor, c'est un homme qui estime la justesse des choses à l'aune de sa résonance intérieure. Incapable de l'expliquer si on l'avait questionné, il sait pourtant exactement ce qu'il veut et depuis bien longtemps, depuis l'année de ses 14 ans, quand il a vu creuser les fondations du Temple et poser la première pierre. Ce jour-là, Victor avait trouvé un sens à sa vie...