Chapitre 6 - Suratiel

Guilde Jaune depuis aussi longtemps qu'il se souvient être entré dans le système des Guildes, Suratiel s'est rapidement spécialisé dans les soins au Règne Animal. Son enfance de fils d'Archalchimistes a été bercée des récits épiques de l'instauration du Nouveau Paradigme, des Temps de la Terreur, du Basculement si longtemps attendu et du Débarquement des Tvish. Mais il n'y a aucune histoire que Suratiel apprécie davantage que celle de la découverte du premier griffon... Son enfance avait été ennuyeuse, il avait souffert d'une santé fragile jusqu'à l'adolescence et les légendes qui lui étaient lues, puis qu'il avait étudiées par lui-même plus tard avaient représenté les compagnons de route qui meublaient sa solitude.

Le tout premier griffon était apparu en Europe de l'Est, dans une forêt d'une province aujourd'hui redessinée mais qui s'appelait dans les anciens temps Ukraine. Un ermite avait suivi une chouette au comportement étrange, qui semblait diurne, une fois posée sur une branche, il s'était approché silencieusement et avait découvert un bien étrange animal, au corps de félin... La découverte avait rendu l'homme fou, son mental avait cassé devant une réalité qu'il n'était pas prêt à accueillir. Mais la nouvelle s'était répandue comme une traînée de poudre et les rares griffons sont farouchement protégés par les Tvish, l'Archimagistère au sens large, et il ne serait de toute façon venu à l'esprit de quiconque de leur nuire ou de les capturer. Suratiel a parfois du mal à comprendre comment les gens pouvaient fonctionner à l'époque de ses parents et de ses grands-parents, comment ils avaient pu s'accaparer le vivant comme s'il s'était agi d'objets dépourvus de conscience ou de volonté propre.

Tout en nourrissant ces réflexions, Suratiel emprunte la route sud qui s’enfonce dans la forêt de sapins à flanc de montagne qui borde le mur sud du Temple-Pyramide. Vêtu d'un pantalon léger de saison et d'une fine tunique brodée, il arbore l’œil de Naga Jaune comme un soleil de sa Guilde de prédilection et à son cou dansent plusieurs aka'n en pierre et en bois, un petit vajra en argent, une obsidienne yin yang et un pentacle triangulé en argent, chacun étagé à un niveau différent afin qu'ils ne se chevauchent pas. Pieds nus, comme à son habitude, il ne craint pas le chemin caillouteux qu'il connait par cœur. Il privilégie depuis bien longtemps la marche pieds nus parce qu'elle lui permet d'approcher les animaux sans les effrayer ce qui risque de s'avérer crucial aujourd'hui.


Délaissant ses souvenirs d'enfance, Suratiel ramène son attention sur l'instant présent. Il connait le chemin par cœur mais il ne doit pas seulement se laisser guider par sa logique mais aussi par son intuition. Myalina a mis bas quelques 72 heures plus tôt, elle sera donc normalement près du ruisseau qui longe la clairière de pins. Il veut absolument s'assurer qu'elle va bien et la petite aussi. Il a réfléchi à des noms mais rien n'est tout à fait satisfaisant pour l'instant.

Il quitte le sentier, les aiguilles de pin s’enfonçant légèrement dans ses plantes de pied, ce qu'il sent à peine par habitude. Le bruit du ruisseau commence à s'amplifier lorsqu'il entend un sifflement caractéristique, celui d'Elorya en train d'imiter une grive musicienne. Il lève les yeux vers le sapin d’où semble venir le son et voit Elorya, dans sa tenue similaire à la sienne mais rose-saumon, emblématique de sa Guilde. Elle lui fait un geste de la main, son visage espiègle et parsemé de taches de rousseur rayonne la joie. Elle se suspend à la branche où elle était accroupie jusqu'à l'arrivée de Suratiel et sans un bruit se laisse glisser jusqu'au sol. Elle attend qu'il la rejoigne pour glisser ses bras autour de sa taille, se mettre sur la pointe des pieds (elle porte des ballerines souples) et déposer un baiser au parfum de violette sur les lèvres de son compagnon qui en profite pour retirer une feuille morte de sa luxuriante chevelure rousse et bouclée. Il lui demande en chuchotant :

- As-tu vu Myalina et la petite ?
- Oui, lui répond-elle sur le même ton, je t'attendais, elles sont près du ruisseau.

Main dans la main ils avancent au même pas, Suratiel ajustant ses foulées sur celles d'Elorya, et ils atteignent le bord de l'eau en même temps.

Le plus merveilleux des spectacles les y attend, Myalina est allongée, la tête reposant sur une souche, les yeux mi-clos, son pelage blanc adamantin luit de reflets irisés difficilement conciliables avec les possibilités du plan physique. Entre ses pattes, sa première née est blottie, fixant sur Suratiel et Elorya un regard interrogateur et curieux, sa petite corne pointée droit sur eux comme pour leur dire « je suis petite mais je vous ai à l’œil ». Elorya serre plus fort la main de Suratiel, son émotion palpable. Il lui vient les larmes aux yeux à chaque fois qu'elle voit une licorne. La pureté et la grâce de cette créature merveilleuse est telle que bien peu pouvent espérer les approcher, et moins souvent que jamais pour un homme. Myalina ne tolère la présence de Suratiel que parce qu'il l'a soignée petite d'une blessure à la patte et une licorne n'oublie jamais...

- Talyna, murmure Elorya.
- Qu'as-tu dit ? questionne Suratiel.
- La petite, elle s'appelle Talyna.

C'est sans appel, Elorya n'a pas formulé une suggestion, elle a reçu la demande de la fille de Myalina.

Ils s’approchent tous deux sans bruit, Elorya s'agenouille à coté de Talyna qui ne la quitte pas des yeux tandis que Suratiel se place derrière Myalina pour s'assurer que la licorne est en parfaite forme physique.

Elorya tend la main d'un geste infiniment lent et délicat en direction de Talyna, tout en guettant le moindre signe de sa mère ou d'elle. Talyna approche son museau gracieux de la petite main d'Elorya et après l'avoir reniflée et inspectée, elle finit par pousser sa main doucement, acceptant la caresse. Toute heureuse, Elorya doit se retenir de pousser un cri de joie et caresse délicatement le museau blanc de Talyna avec révérence.

Pendant ce temps, Suratiel laisse courir ses mains de guérisseur à quelques centimètres au dessus du pelage de Myalina, sentant les courants d'énergie, les nœuds, les blocages, harmonisant, apaisant, redirigeant délicatement l'énergie pour permettre à Myalina de la mobiliser là où elle en aurait le plus besoin. En réponse à son travail, il est gratifié d'un doux hennissement de la superbe licorne, il lui adresse en retour un sourire ému et caresse son encolure du bout des doigts.

Elorya et Suratiel restent longtemps auprès de Myalina et sa fille, en douce communion de conscience, oublieux du temps qui passe et n'a aucune importance. Lorsqu'Elorya commence à frissoner et à remarquer que les rayons de Suria ont changé d'orientation, elle adresse un léger signe de tête à Suratiel et sans un mot, ils adressent leurs bénédictions muettes aux deux licornes et reprennent la route du Temple, main dans la main.



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