Chapitre 15 - L'Ermite
Il est 6h17 du matin, le soleil pointe ses premiers rayons à travers les
majestueuses montagnes aux neiges éternelles qui lui font face.
L'ermite déplie ses jambes pour quitter la position du lotus à laquelle
son corps est rompu et il ouvre lentement les yeux, saluant Suria et
effectuant quelques phosphènes pour ancrer la conclusion de son travail
vibratoire de nettoyage et de purification ainsi que sa centaine de
tours d'aka'n à 111 perles.
Il se relève doucement de la large souche de sapin où il a trouvé refuge
pour ses ascèses, s'étire et enchaîne plusieurs positions de yoga et de
Qi Gong, laissant Suria et les mouvements lents et doux réveiller sa
circulation sanguine et énergétique, engourdie par la fraîcheur de la
fin de nuit et la position immobile.
Il retourne dans sa maisonnette que certains pourraient qualifier de
cabane. Faite de rondins de bois, elle comporte une pièce centrale qui
fait office de cuisine, de salon et de chambre séparée par un rideau
coulissant. Les toilettes et la douche sont à part. C'est petit mais
c'est son havre de paix et de sérénité. Il y a coulé trois années, loin
du monde, loin du Temple, loin de tout.
Il remplit la bouilloire et la fait chauffer sur le gaz et s'assoit à sa
petite table carrée en bois, recouverte d'une toile cirée ornée de gros
tournesols dont la teinte jaune vif devient passée. Il attrape sa boite
de thé et entreprend de doser la quantité qu'il aime en attendant que
la bouilloire siffle. Il se relève dans un mouvement fluide et
silencieux pour attraper l'eau et la verser dans sa tasse et se saisit
d'une petite casserole pour y préparer un porridge aux flocons d'avoine
où il coupe une banane et une pomme en morceaux et les recouvre de
cannelle. Il broie grossièrement une poignée de cerneaux de noix et les
ajoute au mélange qui épaissit doucement dans la casserole et dont les
bulles d'air venant crever la surface lui évoquent toujours un volcan
entrant en éruption.
Aujourd'hui n'est pas un jour ordinaire et son petit-déjeuner ressemble à
un vrai repas de fête ! Mais il a besoin de prendre des forces pour le
voyage et se réchauffer intérieurement afin d'affronter ce qui l'attend.
Un enfant prodigue n'est pas toujours accueilli à bras ouverts...
Aujourd'hui le temps est venu de saisir son bâton de pèlerin, d'enfiler
son manteau de voyage et de reprendre la route. Il le sait. Il ne sait
pas comment il le sait mais c'est ainsi. Il s'est levé en milieu de nuit
avec cette certitude absolue. Son logis est propre et en ordre. Il lave
la vaisselle qu'il a utilisée pour son petit-déjeuner et la sèche dans
un torchon à carreaux qu'il suspend à un crochet fixé au mur puis coupe
la bonbonne de gaz dans le placard sous l'évier. Il coupe également
l'eau et l'électricité. Il jette un seau d'eau glacée sur les cendres du
feu de bois de la nuit et replie soigneusement la couverture qu'il a
gardée sur lui lorsqu'il est allé prier dehors, guettant le lever du
soleil.
Il vérifie que son havresac contient tout ce dont il aura besoin pour la
route : sac de couchage et tapis de sol, boussole, vêtements de
rechange, une torche solaire, un peu de nourriture, quelques aka'n et
ses carnets de notes. Il n'a pas besoin de plus.
Il ferme son sac et empoigne son bâton de marche puis verrouille la
porte de sa cabane au fond des bois, là où il a vécu, reclus du monde,
pendant un peu plus de trois années. Il met la clef dans la jardinière
de géraniums qui décore le bord de la fenêtre puis couvre le fauteuil à
bascule du porche d'une bâche en plastique afin de lui épargner les
intempéries, et descend finalement les trois marches en rondins de bois
qui surélèvent sa cabane, caressant avec amour le bois de la rampe de sa
main rugueuse, habituée aux activités extérieures et aux travaux
manuels. Il s’arrête quelques minutes pour embrasser du regard le
paysage qui s'étale sous ses yeux aux premières lueurs de l'aube : les
cimes s'étendent à perte de vue sous ses yeux, tantôt verdoyantes,
tantôt rocailleuses, la Nature s'éveille sous les rayons de Suria et le
ciel représente une palette de gris perle, de rose, de mauve et d'orange
pâle. Les sapins pointent leurs cimes vers le ciel à travers le
brouillard qui commence déjà à se dissiper.
Il s'arrache à la contemplation des montagnes qui ont été ses
principales compagnes durant ces dernières années, et pour qui sait
prêter l'oreille, une montagne, c'est très bavard ! Il adresse un signe
de tête amical aux oiseaux qui pépient dans les sapins les plus proches,
les remerciant de leur compagnie. Il se baisse au pied de l'escalier et
caresse la terre froide et humide de la nuit, la bénissant et lui
demandant la permission pour laquelle il obtient un assentiment. Il
ramasse alors une poignée de terre qu'il enfouit dans sa poche, ainsi il
aura toujours un peu de chez lui à ses cotés durant la longue marche
qui l'attend jusqu'au Temple-Pyramide de l'Unité.
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