Chapitre 13 - Suratiel

Les débuts de rituel sont toujours compliqués, l'organisation en revient beaucoup, pour l'aspect logistique du moins, à la Guilde Jaune et Suratiel est debout depuis 6h du matin pour s'assurer que le Concilium est parfaitement en ordre pour le Rituel de l'Equinoxe d'automne. Il est 11 heures et le Thé de l'Unité, tradition immémoriale, vient d'arriver des cuisines, l'air embaume la cannelle, la cardamome et le gingembre et Suratiel sent son estomac grommeler et manifester son intérêt pour la boisson rajasique qui lui permettra, ainsi qu'à ses Frères et Sœurs, de tenir la durée du Rituel en pleine conscience.

Le Concilium, sous la Pyramide, étincelle de mille feux, Suria illumine cette magnifique journée et aucun recoin du Grand Temple n'est dans l'ombre. Les Douze Seigneurs Darshana sont présents et vigilants, sculptés dans les colonnes ils vibrent leur essence sur plusieurs mètres de hauteur. Suratiel vérifie une énième fois que rien ne manque en pointant rapidement du doigt l'inventaire des objets indispensables au Rituel. Satisfait, il tourne les talons et laisse place aux Frères et Sœurs des Guildes Orange et Pourpre qui viennent consacrer le Concilium aux travaux, armés de bâtons d'encens, de leurs baguettes en métal et de leurs épées ou dagues rituelles.

Il rejoint le vestiaire des hommes pour aller revêtir les éléments manquants de sa tenue d'Archalchimiste et croise Elorya qui sort du vestiaire des femmes, ses boucles rousses reconnaissables entre mille. Elle lui adresse l'un de ses radieux sourires qui, quoi qu'il puisse ressentir, à n'importe quel moment et ce depuis le jour où il l'avait rencontrée, lui fait oublier absolument tout ce qui le tracasse, Elorya a un sourire du cœur qui dissout les ténèbres. Aussi peu expansif que sa compagne est rayonnante, il lui répond par un sourire, le mudra du OM et disparait aussitôt dans le vestiaire. L'heure est à la concentration.

Encapuchonné et chaussé, ce qui pour lui est assez rare pour être souligné, il rejoint les Archalchimistes assemblés devant les grandes portes du Concilium. Les Hymnes retentissent déjà, et deux files se tiennent côte à côte, identiques par leur tenue mais séparés par leur genre : les femmes entrent par la gauche et les hommes par la droite pour respecter la circulation énergétique durant le Rituel. Le silence est complet, les 627 Archalchimistes assermentés devant l'Absolu Incarné sont au rendez-vous. Certains sont arrivés en hélicoptère la veille au soir, d'autres ont voyagé de manière plus classique mais de l'autre bout de Terremère et Suratiel se réjouit de revoir son ami, Federo, Guilde Jaune également mais vivant à l'année au Temple-Pyramide de Djibouti.

La file se met en marche devant lui et Suratiel emboîte le pas au Frère qui le précède pour pénétrer dans le Cœur de Vie du Temple-Pyramide : le Concilium. Chacun prend sa place en silence, dans un froissement de tissu. La Garde Prétorienne se tient debout, derrière l'autel, face à l'Assemblée des Archalchimistes. Lorsque tout le monde est en place et immobile, le silence seulement troublé par un toussotement occasionnel, l'Hymne à l'Assemblée des Archalchimistes démarre et les portes s'ouvrent à nouveau pour laisser entrer le Couple Sacré. Chacun s'incline sur leur passage et eux-mêmes saluent leurs Archalchimistes en retour puis prennent place côte à côte derrière l'autel consacré. Le Rituel peut commencer !


Quelques quatre heures plus tard, la file ordonnée des Archalchimistes l'est un peu moins qu'à son entrée dans le Concilium, la fatigue se fait sentir et Suratiel se sent mal assuré sur ses jambes tant les énergies ont été prenantes, la collation post-Rituel ne sera vraiment pas de trop pour recharger les batteries !

Il tombe sur Federo dans le vestiaire et ils s'étreignent en une accolade fraternelle et chaleureuse :

- Comment vas-tu mon ami ? lui demande Federo, le sourire jusqu'aux oreilles.

- Bien, bien, mon Frère, as-tu fait bon voyage ?

- Je suis venu avec une escouade de Tvish, la route était plaisante.

Suratiel connait bien l'espoir enflammé de son ami, grand amoureux des Tvish en général et des plus blondes d'entre elles en particulier. Il rit de bon cœur :

- Ton problème, Fedo, c'est que tu ne sais pas capituler...

- Et toi, lui rétorque son ami, du tac au tac, bientôt marié ? Ta gracieuse amie finira par se lasser...

Suratiel fronce imperceptiblement les sourcils. Il est en couple avec Elorya depuis 8 ans et jamais elle n'a fait mention d'union sacrée, lui non plus. C'est davantage leurs amis communs qui planifient déjà leur mariage, ses parents aussi accessoirement. Ce n'est pas dans les préoccupations de Suratiel et il ne pense pas, ou du moins espère que ce n'est pas dans celles d'Elorya non plus. La vie n'est-elle pas infiniment plus simple ainsi ? Suratiel a lu tant d'histoires horribles sur les mariages enchaînants d'Age de Fer que même son équivalent Orthodol ne l'a jamais attiré.

Il hausse les épaules et lance son ami sur les dernières étapes de construction du Temple-Pyramide de sa province natale tout en changeant sa tenue d'Archalchimiste pour sa tenue de Guilde, plus légère. Federo est intarissable et Suratiel bien moins bavard ce qui lui convient parfaitement. Ils rejoignent la grande salle a manger dédiée aux collations post-rituelles où les ont déjà précédé une bonne centaine d'Archalchimistes dans leurs tenues de Guilde, arc-en-ciel de couleurs joyeuses. Le frémissement est dans l'air, la fatigue post-rituelle rend les rires spontanés et le volume des voix va crescendo. Sur trois des quatre cotés de la salle, un immense buffet savoureux attire tous les regards, aussi beau et bien disposé que parfumé et délicieux, il y en a pour tous les goûts et faire l’Unité entre toutes les cuisines traditionnelles du Royaume de Terremère est un défi audacieux que seules les cuisines du Maître Temple-Pyramide pouvent relever avec autant de brio !

Repérer Elorya dans cette marée d'Archalchimistes colorés relève du miracle, quoi qu'il pense savoir où la trouver en cherchant sa pâtisserie préférée... L'idée le fait sourire mais il n'a pas le temps de mener l’enquête que la Garde Prétorienne entre, escortant le Hiérodarque et l'Adishaloriss qui sans autre forme de procès, bénissent les préparations, coup d'envoi des réjouissances.

Suratiel chipe une banane et une tranche de melon par dessus une large épaule vêtue de rouge et se fraie un chemin jusqu'à la table des loukoums où, sans surprise, il trouve Elorya en contemplation devant une assiette de loukoums à la rose en forme d'étoile à huit branches. Il dépose un baiser sur sa tempe pour la distraire et chipe le loukoum qu'elle vient de prendre pour l'enfourner tout entier dans sa bouche sous le regard mi-outré mi-horrifié de sa compagne qui lui assène un coup de poing léger dans l'épaule avant de se retourner vers le buffet et empiler trois autres loukoums sur son assiette tout en les protégeant de sa main libre afin que Suratiel ne s'en empare pas. Indignée elle lui dit :

- En plus je croyais que tu n'aimais pas les loukoums ! Trop sucré, pas assez naturel...
Elle l'imite tout en parlant et voir ses propres expressions sur le visage d'Elorya est absolument hilarant pour Suratiel qui lui répond avec un peu trop de franchise :

- C'était rien que pour t’embêter !

L'indignation d'Elorya est à son comble et l'Absolu seul sait ce qu'elle aurait dit ou fait si l'arrivée de Federo qui s'était perdu dans la foule ou plus exactement à la table des gâteaux au chocolat dont plusieurs parts trônent sur son assiette, n'avait pas détourné l'attention de la jeune femme et sauvé Suratiel d'une vengeance certainement terrible... Empêtrés par leurs assiettes respectives, Federo et Elorya veulent se donner l'accolade sans y parvenir et Federo fait mine de se tourner vers Suratiel pour lui confier son assiette mais Elorya le prend par le bras pour l’entraîner plus loin vers une petite table libre en s'écriant :

- Surtout pas !!!

Entre rires, dégustation de fruits frais, secs, gâteaux et pâtisseries, l’après-midi s'étire et la nuit tombe doucement sur le Temple-Pyramide et ses flammes éternelles, quintessence de la Noblesse Incarnée au Royaume de Terremère-Gaïa.