Chapitre 11 - Sebastian

Sebastian n'a pas besoin de regarder Loreline debout à coté d'elle dans l'ascenseur de la tour pour sentir son malaise. D'habitude à son contact les gens ont tendance à s'ouvrir et s'épanouir, mais sa présence n'a visiblement pas du tout cet effet sur Loreline. Il ne peut s’empêcher de se demander s'il a dit ou fait quelque chose de mal dans les quelques interactions qu'ils ont eues depuis leur première rencontre, le jour de l'Initiation au Blanc, pour expliquer ce fond d'animosité qu'il percoit.

Il y a en Loreline quelque chose de l'ordre des ténèbres, un chaos intérieur qui l’empêche de manifester pleinement qui elle est et son amour de la vie le pousse à essayer de percer ce mystère, non pas seulement par goût du défi mais par amour de l'épanouissement de l'autre, pour le service désintéressé de la Force de Vie.

Ils arrivent au tout dernier étage de la tour qui fait face au dernier étage du bâtiment principal du Temple. Ce niveau est bordé de colonnes mais ouvert à tous les vents et offre une vision a 360 degrés de la montagne environnante, le spectacle est superbe et Sebastian adore venir s'y réfugier pour travailler ou méditer, l'influence énergétique du Temple de l'Eau temporise son feu intérieur.

Sebastian entreprend de déballer les quatre tentures bleues peintes à la main qui vont prendre place sur les quatre cotés de la Tour sur plusieurs mètres de hauteur. Efficace, Loreline trouve immédiatement comment se rendre utile au mieux et accompagne Sebastian pour arrimer solidement au balcon la base de la tenture puis la pousser dans le vide pour la laisser se dérouler librement. Ils réitèrent la même procédure aux quatre cotés de la tour sans échanger un mot, chacun sachant qu'il peut compter sur l'autre pour effectuer les mouvements corrects au bon moment.



Ils reviennent au centre de l'esplanade couverte par la pyramide et s'asseyent face à face sur des fauteuils de fortune disséminés de-ci de-la au gré des besoins des visiteurs. Sebastian prend la parole :

- Loreline, puis-je vous poser une question ?

- Oui, répond-elle simplement.

- Êtes-vous heureuse ?

La question désarçonne la jeune femme en profondeur, elle qui ne se serait même jamais aventurée à effleurer cette notion dans le secret de son cœur ou face à son miroir, voilà qu'on la lui pose de but en blanc, sans préparation, sans possibilité de se défiler ni de pouvoir disparaître, perdue au milieu de cette tour ouverte aux quatre vents et à part se transformer en oiseau, aucune échappatoire n'est possible, ce qui pour elle constitue l'une de ses pires craintes...

Les gens pensent à tort qu'on pleure lorsqu'on est triste mais généralement on pleure parce qu'on ressent un profond sentiment de frustration et c'est précisément ce qu'elle éprouve à cet instant-là, une frustration qui lui noue la gorge et l’empêche de prononcer un seul mot, c'est pourquoi cette simple question innocente vient de faire céder un barrage qu'elle a mis des années à consolider, cette innocente question vient dynamiter les dernières illusions qu'elle entretient sur elle-même et elle fond en larmes, de manière incontrôlée, sans retenue.

Sebastian ne l'a pas quittée des yeux durant les quelques secondes où le regard de Loreline s'est agrandi de surprise puis s'est voilé pour finalement s'embuer de larmes. Sans hésiter une seconde et sans un mot, il se lève, entoure les épaules de Loreline de ses bras et la mettant sur ses pieds dans le même mouvement, la presse contre lui comme on console une enfant. Sa main droite dessine des cercles légers dans le dos de Loreline tandis que son bras gauche maintient les épaules secouées de soubresauts de la jeune femme, il repose son menton sur sa tête, l'enveloppant tant au physique qu'au subtil, un peu à la manière dont on rassure les oiseaux qui cessent de paniquer quand ils se retrouvent à l'étroit entre des mains humaines.

Loreline pleure longtemps, comme si la fontaine de larmes qu'elle a laissé s'ouvrir n'allait jamais se tarir. Infiniment patient, Sebastian ne bouge pas d'un centimètre et accueille ce raz-de-marée de souffrance accumulée en le transmutant en lui, en en ressentant la résonance et en y insufflant Amour-Force, Consolation et Guérison.

Petit à petit les sanglots de Loreline s’espacent, ralentissent puis deviennent occasionnels. Le visage baigné de larmes, les joues écarlates, elle se sent pourtant vivante, pour une fois dans sa vie. Quand il est tout à fait sûr que le plus gros de la tempête est passé, Sebastian recule d'un pas sans lâcher les épaules de Loreline pour autant et la regarde, il passe doucement ses deux pouces sous les yeux de la jeune femme afin d'en chasser les larmes et remet en place une mèche de cheveux en bataille derrière son oreille. Il lui adresse un sourire a faire fondre la neige en plein hiver et lui dit :

- Ça fait du bien, non ?

Aussi inattendue qu'avait été sa question initiale sur le bonheur, celle-ci prend tout autant Loreline au dépourvu et elle rit de bon cœur à travers ses larmes.

- Oui, répond-elle. Ça fait du bien...





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