Chapitre 4 - Loreline

 Les yeux clos, Loreline hume le vent avec la sensation de pouvoir respirer son odeur... Elle secoue la tête en chassant le ridicule de cette pensée. Assise le dos contre le tronc d'un arbuste qui borde la fontaine de la terrasse du pont de la tour nord, elle médite en tailleur. Elle s'imagine que quelque part dans le parc du Temple, peut-être du coté du jardin japonais qui, soupçonne-t-elle, a sa préférence, Sebastian aussi est assis en méditation au pied d'un arbre et qu'a défaut d'autre chose, ils partagent cet instant sans le savoir.

Loreline maudit sa condition de « moldue », elle a appris le mot dans la veille saga que sa mère lui lisait enfant « Harry Potter » et s'était toujours émerveillée de la vie de ces magiciens tout en essayant de toutes ses forces de manifester un talent quelconque, une capacité un peu hors du commun, en vain...

Elle est venue au Temple-Pyramide dans l'espoir d'apprendre, de comprendre, de se découvrir, elle a soif de savoir. Mais assise au milieu de ses croquis éparpillés, quatre mois après son Initiation, elle n'a pas avancé d'un pouce sur son Épreuve du Bâtisseur et son Coopteur lui adresse un regard de travers par dessus ses lunettes a chaque fois qu'elle le croise. Non seulement Loreline a le sentiment d’être une déception pour tout le monde mais elle se sent en être une pour elle-même.

Une bourrasque soulève ses feuilles éparses et l'oblige a déplier ses longues jambes pour rattraper une esquisse au vol, effrayant au passage un Gardien du Temple, un chartreux bien nourri qui pose sur elle des yeux jaunes offusqués et hérisse légèrement son pelage gris. Elle est même incapable de devenir amie avec un chat...

Sebastian, lui, ne peut s'asseoir dans l'herbe sans que les animaux ne viennent quémander une caresse, aimantés par sa solaire radiance... Tout en lui évoque la prestance élégante d'un Aural alors qu'il n'a été Initié que 4 mois plus tôt, comme Loreline.
Elle l'a tout de suite remarqué, avec ses cheveux blonds dorés, ses yeux bleus azur, ses fossettes quand il sourit, et comme un papillon ébloui par trop de lumière, elle s'est brûlé les ailes. Les Archalchimistes enseignent que l'état amoureux est un amour émotionnel égoïste, un état qui doit être transcendé a tout prix, sous peine d’être cause de chute. Dans ce domaine aussi, comme dans bien d'autres, Loreline se reproche un sacré train de retard.

A l'instar de la plupart des télépathes aguerris, Sebastian est tactile, il effleure le dos de la main ou l'avant-bras de son interlocuteur ou interlocutrice, une manière de lui partager l'image mentale qui accompagne ses paroles. Les rares fois ou Loreline avait surmonté sa timidité et échangé avec lui et qu'il avait fait ce geste, léger, doux, du bout des doigts, si banal pour lui, elle avait senti ses genoux se dérober sous elle et avait détourné le regard, troublée, passant a des kilomètres de l'image mentale que le télépathe avait pu tenter de lui partager. La plupart de leurs interactions s'étaient terminées avec elle balbutiant une vague excuse pour s'éloigner, ou l'intervention de son « fan-club » comme elle s'amuse, non sans une légère moquerie qu'elle se reproche également, a appeler celles et ceux qui gravitent autour de lui comme des électrons autour d'un noyau.

La présence de Sebastian est agglutinante, mais c'est loin de lui que Loreline pense le plus a lui. Qu'un être humain doté d'autant de beauté, de charme, de talents et de capacités hors du commun put rester célibataire et dévoué au service des Règnes de la Nature est pour Loreline une source de ravissement comme d'incompréhension. Elle ne s'imagine pas l'ombre d'une chance de lui plaire, trop grande, trop svelte, un nez trop long, des yeux bruns, de longs cheveux châtains raides comme des baguettes de tambour, sans chercher a se dévaloriser, elle se trouve infiniment banale.

Rien en Sebastian n’est banal, de son histoire tortueuse dont elle ne connait que des bribes a ses talents extraordinaires, de sa capacité a faire se sentir chaque personne a qui il parle unique et précieuse, en passant par le soin extrême qu'il met a s'occuper des plantes de la serre ou il passe le plus clair de son temps libre, apprenant auprès des Archalchimistes spécialisés dans le domaine et parfois, quand elle a le temps de s'y rendre, de Gaïa elle-même...

Loreline interrompt sa rêverie, secoue la tête pour chasser l'image insistante que produit son esprit de Sebastian lui tendant un bouton de rose qui s'épanouit dans sa main, elle ramasse ses affaires éparses et quitte le rebord de la fontaine pour remonter en direction du Temple par la galerie couverte. Le soleil filtrant a travers les fenêtres induit en elle une légère transe tandis qu'elle prend soin de placer ses pieds dans le dessin ensoleillé projeté au sol par les fenêtres ouvragées bordant le pont. C'est sans doute pour cette raison qu'elle ne comprit absolument pas comment, quelques secondes plus tard, elle avait pu se retrouver dans les bras de Sebastian...